De la création à la cession de son entreprise, le dirigeant doit s’interroger sur les solutions assurantielles qui l’accompagneront tout au long de sa vie professionnelle et de celle de son entreprise. Lors de la création de sa société, il doit, la plupart du temps, financer son activité par un prêt professionnel, prêt assorti d’une assurance emprunteur en cas de décès, invalidité ou incapacité. Mais, précisément, que se passe-t-il en cas de décès de l’assuré? En général, le bénéficiaire de l’assurance emprunteur, lorsque l’assuré vient à mourir, reste le prêteur, à savoir l’institution bancaire qui a financé l’entreprise. C’est à cette dernière que l’assureur verse alors les capitaux, entraînant naturellement l’extinction du prêt et, partant, un profit exceptionnel, générateur d’un IS (impôt sur les sociétés) conséquent. En outre, la dette ainsi soldée a pour effet d’augmenter la valeur des parts (ou actions) détenues dans la société, augmentant de fait l’actif successoral, donc les droits de succession pour les héritiers.
La clause bénéficiaire séquestre
Il existe pourtant une alternative à cette situation par l’ajout, au contrat emprunteur, d’une «clause bénéficiaire séquestre». Grâce à elle, en cas de décès, le prêt n’est pas soldé, il se poursuit et les capitaux garantis par l’assureur sont versés au séquestre. De fait, l’entreprise n’enregistre pas de profit exceptionnel et la dette restant inscrite au passif, l’actif successoral est optimisé. Impôts sur les sociétés et droits de succession sont ainsi maîtrisés en cas d’événement malheureux.
La garantie croisée entre associés
Puis vient le temps où l’entreprise continue sa croissance et où un associé vient participer à ce développement en s’engageant financièrement. Imaginons pour l’exemple qu’Antoine et Claire soient associés tous deux à 50%. Qu’advient-il en cas de décès de l’un ou de l’autre des associés? Les héritiers sont-ils contraints de racheter les parts de l’associé décédé ? Si rien n’a été prévu, cette situation peut mettre les héritiers, l’associé survivant, et donc l’entreprise, en grand péril. Pour éviter ces complications, il existe la garantie croisée entre associés, garantie qui peut se souscrire selon deux méthodes correspondant à deux philosophies distinctes.
- «Bénéficiaires croisés»
C’est la première méthode, que, personnellement, nous déconseillons. Dans ce cas (voir le schéma 1 de la page ci-contre), Antoine souscrit une assurance décès sur sa propre tête et désigne Claire, son associée, comme bénéficiaire. De façon symétrique, Claire souscrit une assurance décès sur sa propre tête et désigne Antoine, son associé, comme bénéficiaire. Ainsi, si l’un des deux associés vient à mourir, un capital décès est versé à l’autre associé, qui peut racheter les parts du défunt ; jusque-là, tout va bien. Imaginons maintenant qu’au cours de la vie de l’entreprise, Antoine et Claire viennent à se fâcher. Ils continuent tant bien que mal à gérer la société mais les relations entre eux sont détestables. En pareil cas, qu’est-ce qui empêche Antoine de résilier son assurance décès afin que Claire ne bénéficie pas d’un capital en cas de décès d’Antoine ? Et bien rien ! Du coup, si Antoine venait à passer l’arme à gauche, Claire se retrouverait sans rien pour racheter les parts de son associé.
Certes, la méthode des bénéficiaires croisés reste simple à la souscription puisqu’elle ne nécessite pas l’accord de l’assuré ; toutefois, elle repose entièrement sur la réciprocité des contrats (même capital garanti, même clause bénéficiaire) de manière à garantir l’équité entre associés. En outre, comme nous l’avons illustré, le souscripteur peut modifier à tout moment sa clause bénéficiaire ou bien cesser le paiement des primes, annulant de fait la garantie croisée. Enfin, elle est basée sur le principe d’un paiement inéquitable des primes dans le cas d’associés d’âge ou d’état de santé différents, ce qui peut amener un associé à ne pas souscrire la garantie, s’il juge le tarif de sa cotisation trop élevé.
- «Assurés croisés»
C’est la seconde méthode (schéma 2), celle que nous conseillons. Ici, Antoine ne souscrit plus une assurance décès sur sa propre tête, mais sur celle de son associée Claire, et il se désigne comme le bénéficiaire. De la même manière, Claire souscrit une assurance décès sur la tête d’Antoine, et se désigne bénéficiaire. Si les deux associés se fâchent, il n’existe aucun intérêt pour chacun d’eux à résilier son contrat puisque chaque associé s’assure du décès de son partenaire et non du sien ! De plus, chaque associé cotisant pour son propre bénéfice, il n’y a pas d’obligation de réciprocité en termes de montant de garantie ou de couverture ; avoir un associé non assurable ne remettra pas en cause la souscription de l’autre. Enfin, le tarif est équitable puisque le souscripteur paie une cotisation en fonction de son risque à perdre son associé. Seul inconvénient, l’assuré (à savoir celui sur la tête duquel l’assurance décès est souscrite) doit donner son accord.
Lorsque les dirigeants associés sont TNS (travailleurs non salariés), la réintégration de la cotisation en charge payée par l’entreprise est possible, que l’entreprise soit soumise à l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur les revenus ; c’est l’expert-comptable qui est responsable de la déduction de cette charge ou non.
La garantie «homme clé»
Toutes les sociétés ne disposent pas forcément de plusieurs associés, mais l’activité de certaines repose souvent sur un homme (ou une femme) clé. Un grand restaurant dépend de son chef étoilé, une société de recrutement peut dépendre d’un consultant senior aux contacts et réseaux indispensables, etc. Qu’adviendrait-il si cette personne venait à disparaître? Et bien l’entreprise peut souscrire une garantie «homme clé» qui lui permet de percevoir un capital en cas de décès de ce collaborateur. Ce capital pourra la dédommager de la perte de savoir-faire, de certains marchés, du ralentissement de l’activité ou du coût de recrutement et de la formation nécessaire à son remplacement. La cotisation de ce contrat d’assurance est une charge déductible du bénéfice imposable de l’entreprise. Le capital versé est, quant à lui, imposable au titre de l’impôt sur les sociétés, mais peut être étalé sur cinq ans.
Dans tous les cas, la protection patrimoniale des dirigeants et de l’entreprise nécessite l’accompagnement de plusieurs professionnels : notaire, avocat, assureur, expert-comptable travaillent généralement conjointement sur ces problématiques pour servir au mieux les intérêts de leurs clients.
Daniel Azarian (Ai. 199)
(1) Lire AMMag n°397, février 2018, p. 48.