On récolte ce qu’on assure

Pour assurer les exploitations agricoles, les assureurs s’arrachent les cheveux. Le poids de l’Histoire le dispute aux menaces climatiques qui s’aggravent. Pour renforcer la mutualisation des risques, la solidarité nationale et contenir les prix, l’État a lancé une réforme en vue de convaincre les exploitants à s'assurer.

Essentielles à la survie humaine, ce sont des entreprises complexes : les exploitations agricoles sont hétérogènes, affrontent depuis toujours les caprices du climat et font face, depuis au moins deux décennies, à la crise climatique en marche. Les assureurs tentent de couvrir les risques spécifiques de ce monde en crise au travers de garanties propres. D’une part, la diversité des statuts (EARL, GAEC, GFA, etc.) crée autant de cas particuliers quant à la protection sociale des dirigeants et des salariés. D’autre part, au-delà des assurances couvrant les bâtiments, les outils de production ou les parcs de machines spécifiques à chaque activité (types de récoltes, de troupeaux), il ne faut pas négliger, par exemple, la perte de liquides (vins, spiritueux, etc.), la mort d’un cheptel (hors maladie contagieuse) ou la destruction de serres. Enfin, les épisodes de grêle, de gel, de sécheresse ou de tempête qui se multiplient sont autant de périls.

Peu d'assurés

Les agriculteurs disposent d’un système d’assurance des récoltes fondé sur deux régimes parallèles, si ce n’est concurrents : la multirisque (ou multipérils) climatique sur récolte (MRC) et le régime des calamités agricoles (1). Le premier est une police d’assurance qui couvre les pertes de quantité (de rendement) et, dans certains cas, de qualité suite à ces événements climatiques destructeurs. Une partie du coût de la cotisation peut être subventionnée par l’État. Le second régime est fondé sur la solidarité. Ce double système est considéré comme injuste et illisible et n’incite que très peu les agriculteurs à s’assurer. Ainsi, à ce jour, seules 30 % des surfaces de grandes cultures et de viticulture sont assurées contre les risques climatiques sur récolte, et ce ne sont que 3 % en arboriculture (2).

Pour expliquer cette faible couverture, au-delà de la méfiance historique des agriculteurs, il faut admettre que les assureurs ont été timorés dans la promotion de leurs solutions, au risque de faire de l’antisélection (3) selon les zones, au vu de la sensibilité technique des nouveaux événements à garantir. Par ailleurs, les dommages soulèvent de réelles difficultés d’expertise selon la conduite des cultures par l’agriculteur, avec la possibilité de dommages successifs (gel suivi de sécheresse, suivie d’incendie, suivi…), ou à cause de la méconnaissance des experts.

Par ailleurs, l’accompagnement des pouvoirs publics dans la souscription de contrat n’est pas suffisamment incitatif. Comme le démontrent les expériences espagnoles et américaines, le soutien de l’État est pourtant essentiel pour proposer ces nouvelles solutions à un tarif acceptable pour la majorité des exploitations agricoles. Des subventions sur les cotisations et une réassurance publique sont espérées. Or, à ce stade, le schéma proposé prévoit une dégressivité très rapide des subventions à la souscription dans le cadre d’enveloppes budgétaires limitées et n’intègre pas de réassurance publique.

Mutualiser pour réduire les coûts

Enfin, il faut évoquer la faible mutualisation des risques. La forte concentration de ces derniers sur deux assureurs majoritaires (Groupama et Pacifica se partagent 80 % des MRC) et l’augmentation des sinistres due à la crise climatique entraînent une dégradation des résultats techniques de la branche : son ratio sinistres à primes est évalué à 143 % (4) ! La crise climatique entraînant une augmentation des catastrophes naturelles à la fois en fréquence et en intensité, l’assurance récolte est devenue un sujet de préoccupation pour le pouvoir exécutif. C’est pourquoi ce dernier a engagé une refonte de l’assurance agricole dont la réforme a été adoptée par le Parlement et promulguée par la loi du 2 mars 2022 (lire l’encadré ci-contre). La réforme prévoit d’autres dispositifs, notamment la création d’un groupe d’assureurs qui pourront partager des données de sinistralité, mettre en commun les primes pour se réassurer et, ainsi, mutualiser davantage ces risques en progression. La mise en application de cette réforme devrait permettre de faire baisser la prime d’assurance de 30% à 40% selon Groupama. Sachant que la prime moyenne d’une assurance MRC est de 661 € par hectare en viticulture (hors grêle et options), cette baisse devrait être un vrai facteur d’incitation.

Réforme de l’assurance agricole

Pour inciter les agriculteurs à s’assurer davantage, un système «universel» à trois étages a été créé.

Pour les risques de faible intensité jusqu’à 20 % de pertes (contre 30 % auparavant), l’agriculteur s’auto-assure via sa trésorerie.

• Pour les risques d’intensité moyenne, l’assurance MRC prend en charge les pertes supérieures à 20 % jusqu’à un certain seuil (défini ultérieurement par décret) et les primes font l’objet d’une subvention plus importante via les fonds de la politique agricole commune (70 % au lieu de 65 %).

• Au-delà, pour les risques dits catastrophiques, le fonds national de gestion des risques en agriculture intervient sans exclusion. Les conditions d’indemnisation seront toutefois moins favorables pour les agriculteurs n’ayant pas souscrit de multirisque climatique sur récolte.

Rendements en chute

Reste la question du mode de calcul des indemnisations très particulier de l’assurance récolte, que la réforme ne résout pas. En effet, les indemnisations maximales sont calculées sur la base de la «moyenne olympique» (5) des rendements de l’exploitation. Hormis pour la viticulture, au regard des aléas climatiques de ces dernières années, la moyenne olympique des rendements a considérablement chuté, diminuant d’autant les indemnités versées.

Daniel Azarian (Ai. 199)

(1) Le régime des calamités agricoles est le pendant de celui des catastrophes naturelles. Il indemnise les exploitants victimes de dommages exceptionnels causés aux récoltes non assurables et favorise le développement de l’assurance contre les risques agricoles assurables (grêle-tempête et multipérils sur récoltes). Cette incitation peut être directe (subventions contre les aléas climatiques) ou indirecte (pour être indemnisés, les agriculteurs doivent avoir assuré les éléments principaux de leur exploitation).

(2) Source ministère de l’Agriculture, DiagoRisk.

(3) Lire aussi AMMag de septembre 2020, p. 46.

(4) Source «l’Argus de l’assurance», 18 février 2022.

(5) Moyenne des rendements au cours des cinq dernières années, en excluant la meilleure et la pire année.