Les assurances offshore, une menace pour le BTP

Les contrats d’assurances proposés par des sociétés enregistrées à l’étranger bénéficient de la législation des pays hôtes et s’appliquent aux assurés où qu’ils soient dans l’Union européenne. C’est une concurrence déloyale et, plus grave, leur garantie a minima peut être mortelle pour les entreprises du BTP et gravissime pour leurs clients.

Différents types d’assurances construction existent en France (1). Ce sont celles relatives aux risques portés par les entreprises du BTP ou les maîtres d’ouvrage, professionnels ou particuliers : de la fameuse décennale à l’assurance dommage ouvrage, en passant par l’assurance tous risques chantier.

Or, au-delà des aspects techniques, le marché de l’assurance construction souffre ces dernières années des pratiques de compagnies d’assurances étrangères opérant en libre prestation de services (lire l’encadré p. 33). Certains assureurs européens proposent en effet de l’assurance construction dans l’Hexagone en ignorant tout des spécificités françaises, notamment l’obligation de faire face à des engagements sur de longues périodes (jusqu’à dix ans), obligation inexistante dans la plupart des autres pays de l’espace économique européen.

La libre et risquée prestation de services

Agréés dans leur État d’origine par des superviseurs peu rompus aux spécificités françaises, de nombreux acteurs étrangers, souvent installés dans des «paradis prudentiels» (Gibraltar, Malte, etc.), ont profité de cet exercice en LPS pour distribuer des contrats d’assurances décennales aux professionnels du BTP et des assurances dommage ouvrage aux maîtres d’ouvrage à des prix défiant toute concurrence et avec des conditions d’acceptation du risque très souples, voire inexistantes. Les premiers sinistres survenant, certaines de ces compagnies se sont retrouvées en difficulté, au point de mettre la clé sous la porte. Depuis 2016, les défaillances s’enchaînent : Gable Insurance (2016), Elite Insurance (2017), Alpha Insurance (2018), CBL et son courtier grossiste SFS (2018), le Danois Qudos (2018), etc.

Ne jetons pas la pierre sur ces seules compagnies et leurs superviseurs. Selon Bernard Delas, vice-président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, «les courtiers grossistes, les courtiers de proximité et les agents doivent aussi s’interroger sur ce qui devrait être modifié, amélioré ou reconsidéré dans la manière dont ils abordent ce marché difficile de l’assurance construction».

On estime le nombre de contrats concernés à 500 000. En ce qui concerne l’assurance en responsabilité civile décennale, le risque pour les entreprises du BTP ayant souscrit ce type de contrat en LPS est la non-indemnisation des sinistres. De fil en aiguille, les maîtres d’ouvrage ayant sollicité ces entreprises sont, eux aussi, exposés. Pour ce qui est des contrats en dommage ouvrage, le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) peut indemniser les assurés dont les compagnies auraient fait faillite. Cela laisse tout de même 250 000 entreprises du BTP sans assurance décennale et en grande difficulté pour retrouver un assureur.

Le deuxième effet Kiss Cool

C’est là le deuxième effet Kiss Cool de ces défaillances. Habitués des spécificités françaises de l’assurance construction, la plupart des assureurs français rechignent à récupérer des entreprises assurées précédemment par des acteurs en LPS, par crainte d’être engagées à la place de ces derniers. Pour les entreprises assurées, cela signifie également d’avoir à faire une «reprise du passé» pour couvrir les chantiers précédemment réalisés, ceux-là mêmes pour lesquels ils ont déjà payé une prime d’assurance auprès d’un acteur LPS. C’est la double peine. Et c’est même sans compter la difficulté pour les entreprises concernées et leur potentiel nouvel assureur de récupérer les dossiers techniques et les relevés de sinistralité qui sont des éléments clés pour l’acceptation du risque et le montant de la cotisation.

Libre prestation de services, kézako ?

L’espace économique européen regroupe les 27 États de l’union européenne et 3 États de l’Association européenne de libre-échange (Islande, Liechtenstein, norvège). Avec la libre prestation de services ou LPs, les assureurs de l’espace économique européen ont le droit de commercialiser, depuis leur siège social ou une simple antenne locale, des contrats dans tous les pays de cette zone géographique. ces assureurs sont soumis aux règles de leur propre pays (y compris en matière de solvabilité), mais pas à celles des pays dans lesquels ils vendent. ceux qui vendent en France ne sont obligés de respecter ni les règles de provisionnement imposées par la législation ni les impératifs du règlement solvabilité II édicté par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

L'impossible recours contre les sous-traitants

Et cela ne s’arrête pas là. En effet, de nombreux acteurs de la construction, comme les constructeurs, les contractants généraux, etc., font appel en sous-traitance à d’autres entreprises du BTP. Les assureurs de ces constructeurs et autres ne pourront plus exercer de recours contre les compagnies des sous-traitants, en défaillance. De ce fait, un sinistre qui, au final, aurait dû être supporté par le sous-traitant (et son assureur) restera à la charge du commanditaire (et de son assureur).

L’ensemble de ces événements a contribué à rendre plus complexe le marché de l’assurance construction : difficultés pour les entreprises du BTP de trouver des solutions d’assurance décennale à prix correct, voire impossibilité à s’assurer tout simplement ; augmentation des sollicitations auprès du FGAO pour les dommages ouvrages non couvertes ; etc. Les régulateurs européens œuvrent pour harmoniser les pratiques et mettre un terme aux paradis prudentiels, mais c’est un chantier de plusieurs années. Pendant ce temps, quelques acteurs en LPS continuent de proposer des solutions agressives en décennale ou en dommage ouvrage… jusqu’à la prochaine défaillance. Et ce sont encore les assurés, appâtés par des tarifs improbables, qui en paieront le prix.

Daniel Azarian (Ai. 199)

(1) Lire aussi AMMag n° de novembre 2018, p. 58.