L’assurance remise en question par la Covid-19

Jusque-là, notre rubrique a abordé divers sujets liés à l’assurance, touchant à la protection des biens et des personnes. Mais la crise sanitaire a soulevé de nouvelles interrogations sur l’assurance et le fonctionnement des assureurs, ouvrant un débat sur ses fondamentaux. Réponses.

Depuis le prêt à la grosse aventure pratiqué au IVe siècle avant J.-C. ou la première société d’assurances maritimes fondée à Gênes au XVe siècle, l’assurance existe. Mais, au fait, c’est quoi ? L’assurance est l’opération par laquelle un assureur (compagnie, mutuelle ou institution) s’engage à offrir une prestation, la plupart du temps financière, à un assuré en cas de survenance d’un risque en contrepartie d’une somme d’argent, appelée prime ou cotisation. Il s’agit donc du transfert d’un risque qu’on ne pourrait surmonter seul à un tiers qui le peut : l’assureur. Mais cette définition communément admise doit être précisée. Il faut, en effet, caractériser ce fameux risque mentionné et éclairer des réalités implicites fondamentales. L’événement susceptible d’être dédommagé par l’assureur doit répondre aux conditions d’un risque assurable (lire l’encadré p. 49).

Le montant de la prime est lié à l’évaluation de l’assurabilité du risque couvert. Un événement hautement probable, s’il est accepté par un assureur, coûtera très cher en primes. C’est pourquoi les cotisations des assurances auto des jeunes conducteurs sont élevées, cette population étant statistiquement la plus sinistrée. Voilà également pourquoi l’assurance d’un prêt immobilier ou une assurance décès impliquent des formalités médicales, et pourquoi l’assureur réclame des moyens de protection et de prévention du risque incendie dans une entreprise.

Les règles de la mutualisation

L’assurance partage les risques entre une multitude d’assurés. Les primes payées par tous les assurés financent les indemnités versées à ceux, moins nombreux, qui subissent les sinistres. La loi des grands nombres et les statistiques du risque assuré sont les clés dans la mutualisation. Ce principe fondateur permet d’être indemnisé quelle que soit l’ancienneté de son adhésion : celui qui subit un sinistre deux jours après la souscription d’un contrat sera indemnisé comme celui qui est assuré depuis dix ans. Ce principe impose aussi forcément aux assurés d’accepter que leur prime ne leur sera pas restituée s’ils ne souffrent d’aucun sinistre, car elle va servir à indemniser son voisin moins chanceux.

Définition d’un événement assurable

Pour être assurable, un événement doit être :

Aléatoire

Les conséquences d’une fuite accidentelle de produit chimique dans une usine, par exemple, pourront être prises en charge, mais pas celles liées à une fuite graduelle.

Futur

On n’appelle pas son assureur pour assurer, par exemple, sa voiture une fois celle-ci dans le fossé. Un assureur n’indemnise pas un événement antérieur à la souscription.

Licite

Assurer le stock de cocaïne d’El Chapo contre le vol n’est, par exemple, pas possible. Comme les conséquences de votre accident de voiture ne seront pas prises en charge si vous étiez ivre.

Involontaire

Si vous mettez le feu à votre maison ou votre commerce volontairement, par exemple, l’assureur ne vous indemnisera pas.

Suffisamment fréquent Pour Pouvoir calculer sa Probabilité

L’assureur se base sur des modélisations mathématiques qui analysent le passé pour anticiper statistiquement l’avenir. Des risques d’occurrence très faible seront mal évalués.

Mais pas trop fréquent

Un risque quasi certain ne sera pas couvert ou, s’il l’est, le sera à un tarif exorbitant.

Quid des pandémies ?

La prime sera ajustée de façon individuelle en fonction de la contribution de chaque assuré à la sinistralité globale. Si tous les assurés sont touchés, la mutualisation est impossible et il devient impossible pour l’assureur de faire face à ses engagements. Voilà pourquoi une pandémie est une exclusion des contrats d’assurance : par définition, elle touche tous les assurés d’un seul coup. En outre, les pertes d’exploitation associées représentent des montants colossaux bien supérieurs à la totalité des primes encaissées, voire à la capitalisation de certaines compagnies. Enfin, le risque de pandémie étant statistiquement impossible à estimer, il n’est pas assurable par définition.

Imaginez un assureur habitation dont tous les clients résideraient dans un même immeuble. Le feu prend dans un appartement et l’incendie risque fort de se propager à l’immeuble entier. Cela aurait des conséquences désastreuses sur l’ensemble des assurés, donc sur l’assureur. Cet exemple caricatural vise à montrer la nécessité pour l’assureur de diversifier ses risques : diversification géographique (pour les risques inondation, par exemple), des secteurs d’activité, etc.

Le danger du surplus et du manque d'informations

Pas assez ou trop d’informations peut être problématique pour la bonne assurance du risque. Si l’assureur n’a pas assez d’informations sur le comportement de l’assuré, il y a risque d’aléa moral. Cette notion, théorisée par Adam Smith, désigne la possibilité qu’un assuré accroît le risque du fait même qu’il se sait assuré : un armateur, se sachant bien assuré, choisit un navire en plus mauvais état ; un myope change plus souvent de lunettes se sachant remboursé en totalité, etc. Une franchise élevée permet de réduire cet aléa moral.

De même, si l’assureur est moins informé que l’assuré sur son niveau de risque, il y a risque d’«antisélection», théorisé par George Akerlof (1). L’obligation d’assurances imposée par l’État ou la différenciation des contrats par l’assureur permettent d’éviter ce phénomène.

L’assureur essaye d’avoir un maximum d’informations afin d’adapter au mieux le montant de la prime au risque réel. Mais trop d’informations peut le pousser à sélectionner les risques et à exclure les assurés aux risques plus élevés. Pour limiter ce phénomène, l’État impose des règles aux assureurs.

En 2016, les assureurs ont versé près de 40 milliards d’euros en prestations liées aux assurances de biens et responsabilité, cela représente 13,3 millions de sinistres par an (36 000 par jour).

Daniel Azarian (Ai. 199)

(1) cet économiste américain analyse : pourquoi une voiture à peine utilisée subit-elle une décote importante sur le marché de l’occasion ? pour se prémunir des vices cachés, les acheteurs potentiels proposent des prix délibérément faibles. Insatisfaits par les prix proposés, les vendeurs de véhicules de bonne qualité quittent le marché. Seuls restent disponibles à la vente de mauvais produits : les voitures de piètre qualité (ici, les assurés ayant le plus fort taux de risques) chassent du marché les bonnes voitures (les assurés plus responsables).