La responsabilité des fabricants face aux produits défectueux

Vous avez fabriqué et livré une machine qui prend subitement feu et blesse une personne. Vous avez produit des aliments qui rendent les consommateurs malades. Vous avez importé des tabourets qui s’écroulent dès qu’on s’assied dessus. Si vous l’avez souscrite, la responsabilité civile des produits après livraison vous aidera.

Nous avons déjà évoqué dans ces colonnes la responsabilité civile des entreprises de façon générale (1) et ses différents types (contractuelle, délictuelle), fondements juridiques et régimes (2) de preuve. Mais qu’en est-il de la responsabilité civile (RC) relative aux produits après livraison? Les fabricants sont particulièrement concernés par cette garantie, nommée «RC produit» dans les contrats.

Comme toute garantie de RC, elle permet de couvrir les dommages causés à autrui, consécutifs à une mise en cause des produits vendus ou installés par l’entreprise — donc après réception ou livraison. Ces dommages sont souvent ceux que subissent les clients finals à la suite d’une défaillance du produit, mais tout tiers lésé peut mettre en cause la RC produit, notamment lorsque l’entreprise fabrique des composantes ou des matières premières incluses dans un produit fini susceptible d’être cause de dommages.

Illustrons par l’exemple. L’armoire électrique d’une machine récemment réceptionnée et installée par la société Gorgu prend feu dans l’atelier. Cela endommage la ligne de production et blesse un des ouvriers. Les garanties de la RC produit vont indemniser le client lésé. On y retrouve les lignes de garantie usuelles : dommages corporels, dommages matériels, mais aussi immatériels (consécutifs ou non) (1). Ce volet du contrat RC peut également comprendre, selon le choix de l’assuré, des lignes de garanties spécifiques.

Frais de dépose-repose

Cette garantie vise à indemniser les frais engagés pour la dépose de produits viciés ou défectueux et la repose de produits fonctionnels et sûrs. Imaginons que Gorgu soit fabricant de pompes et que la société Piston en installe dans une société agroalimentaire. Cette dernière s’aperçoit que les pompes fonctionnent mal. Les frais qu’elle engage pour les déposer et réinstaller des modèles fonctionnels seront pris en charge par la ligne de garantie des frais de dépose-repose.

Le fabricant est responsable de la malfaçon de son produit dangereux, mais aussi celui qui a fourni la matière première ou une composante, le distributeur et l’importateur.

Frais de retrait

Les fabricants en grande série peuvent se prémunir contre le coût élevé du retrait de leurs produits si ces derniers viennent à présenter un danger pour autrui. Ainsi, s’il est nécessaire, par exemple, de retirer du circuit de consommation des lots de yaourts contaminés par une bactérie, c’est cette garantie qui prend les frais en charge. Très variés, ces derniers comprennent également les coûts relatifs à la mise en garde du public, la recherche et la destruction des produits, leur stockage, etc.

Vices cachés

La garantie peut être étendue aux conséquences des vices cachés des produits (que le fabricant doit légalement garantir deux ans). Les lignes de garantie, souvent associées à la RC des vices cachés (ou des produits viciés), sont les frais de dépose et de repose des produits, et certaines intègrent la prise en charge de la réparation ou du remplacement du produit. Onéreuse, cette garantie est souhaitable lorsque les coûts de réparation sont élevés.

Ceux qui sont concernés par les produits défectueux

Le volet relatif à la RC de l’entreprise du fait des produits déficients est un régime spécial de responsabilité transposant une directive communautaire de 1985 — qui prévaut donc sur le droit commun de façon exclusive. Un produit défectueux est celui qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Le défaut peut ne pas compromettre l’usage du produit, mais représenter un danger pour autrui. Que l’entreprise soit fautive ou non, sa responsabilité est engagée. Il suffit que la victime prouve l’existence d’un dommage, le défaut de l’objet et un lien de causalité entre les deux. Si les assureurs ne couvrent pas ce type de dommages (contrairement à ceux des produits viciés), ils prennent en charge les dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers.

La responsabilité des produits défectueux ne s’applique pas qu’au seul fabricant du produit fini. Les fabricants de la matière première ou d’une composante du produit en question sont eux aussi concernés. Et ce n’est pas tout : le distributeur d’un produit qui s’avère déficient peut être assimilé à un producteur et reconnu responsable. S’il appose sa marque sur le produit (même en tant que simple distributeur), il ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité, alors que celui qui n’appose pas sa marque pourra être exonéré, à condition toutefois d’identifier le producteur.

Les clauses d’exonération

En RC produit, les clauses d’exonération permettant de ne pas engager sa responsabilité ne sont pas forcément les mêmes que celles invoquées usuellement (force majeure, fait d’un tiers, faute de la victime). Elles sont spécifiques :

• absence de mise en circulation du produit (un prototype, par exemple) ;

• survenance du défaut après la mise en circulation ;

• absence de connaissances scientifiques et techniques capables de déceler l’existence du défaut au moment de la mise en circulation;

• conformité aux réglementations impératives (qui induisent le défaut) ;

• faute de la victime (seul cas d’exonération issu du droit commun).

Un importateur de produits peut également être assimilé à un producteur. Comme ce régime spécial de responsabilité est à l’origine une directive européenne, elle concerne tous les Européens, même s’ils importent des produits ne provenant pas de la Communauté économique européenne. Voilà pourquoi les assureurs posent systématiquement la question de la provenance des produits ! Une entreprise française importatrice de produits déficients est responsable et doit prendre en charge les frais de retrait des produits en circulation, quand bien même elle ne les a pas fabriqués.

La responsabilité du fait des produits défectueux est une responsabilité de plein droit, sans exigence de faute. Le producteur ne pourra s’exonérer que dans certaines conditions (lire l’encadré ci-contre). Par ailleurs, ce dernier fait face à deux délais de prescription : dix ans après la mise en circulation, la victime ne peut plus agir ; trois ans, c’est le délai maximal entre le moment où la victime a connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur, et la date à laquelle elle lance l’action en réparation.

Daniel Azarian (Ai. 199)

(1) Lire aussi AMMag de mai 2019, p. 48.

(2) Lire aussi AMMag d’avril 2021, p. 24.