Nous poursuivons notre découverte des risques spéciaux de responsabilité civile (RC) par ceux du monde médical. Compte tenu de leurs impacts sur la santé humaine et publique, les activités sont fortement encadrées : obligation d’assurance, montants de garantie minimaux ou garantie particulière. On distingue trois grandes familles d’activité : les professionnels de santé (médecins, infirmiers, etc.) et les établissements de soins ; les fabricants de produits pharmaceutiques ou de dispositifs médicaux ; et, enfin, les entreprises ou organismes d’essais cliniques. Certains professionnels relèvent de plusieurs catégories. L’assurance constitue un réel enjeu pour les dirigeants qui souhaitent pérenniser et sécuriser leur activité.
Pas de montants minimaux de garantie pour les fabricants
Même profanes, la plupart d’entre nous savons que l’assurance RC est obligatoire pour les soignants et les établissements de santé (1). Il est plus surprenant de découvrir que cette obligation n’a que vingt ans : elle a été édictée en 2002 par la loi Kouchner. Cette loi a été complétée, notamment par le décret de 2011 fixant de nouveaux plafonds de garantie pour les professionnels de santé exerçant en libéral. Ceux-ci sont passés de 3 à 8 millions d’euros par sinistre et de 10 à 15 millions d’euros par année d’assurance. Ces garanties peuvent être mises en jeu cinq ans après leur expiration ou leur résiliation — et même dix ans après la cessation d’activité ou le décès du praticien mis en cause (garanties subséquentes). Un fonds de garantie a été créé en 2012 pour compléter les indemnisations supérieures à ces plafonds ou dont la réclamation serait formulée au-delà des garanties subséquentes. On pourrait s’étonner que les établissements de santé ne soient pas concernés par ces plafonds ni par la garantie subséquente décennale. Le législateur a certainement souhaité avant tout protéger de la ruine les praticiens, peu conscients du risque encouru. Alors que les établissements sont, eux, des entreprises averties et dotées d’un patrimoine plus élevé. Reste que ces derniers sont très exposés, notamment dans le privé, car ils sont non seulement responsables de leurs salariés, mais aussi du niveau de garanties souscrites par les professionnels libéraux qui exercent en leur sein. Ces entreprises se doivent donc de vérifier, chaque année, la validité et l’adéquation des contrats d’assurance RC de chacun de leurs praticiens libéraux.
Les dispositifs médicaux relèvent eux aussi de la législation française mais également européenne. Très large, leur définition englobe de nombreux produits, y compris des productions intellectuelles comme les logiciels d’aide au diagnostic. Ces dispositifs ont été classés selon leur criticité (lire l’encadré ci-dessous). Tout fabricant est obligé de (2) contracter une assurance en RC produits , sans pour autant que des montants minimaux de garantie soient imposés. Un règlement européen vient toutefois introduire une obligation de «couverture financière suffisante» sur la base d’une évaluation personnalisée du risque. Cette formulation fait peser une lourde responsabilité sur les épaules des dirigeants. On ne saurait trop leur conseiller de s’adosser sur leur intermédiaire d’assurance, d’être attentifs aux trois critères européens (lire l’encadré ci-contre) et d’analyser sérieusement leur activité. La taille des lots (risque sériel), notamment, est essentielle, comme les zones d’exportation ou les importants dommages financiers consécutifs, par exemple, à une perte de données médicales ou à l’indisponibilité d’un service logiciel.
Classement des dispositifs médicaux
Les dispositifs médicaux ont été classés en fonction des risques qu’ils font courir aux patients ou au personnel soignant. Exemples, parmi les moins aux plus risqués :
• classe I : les gants d’examen, les lève-personnes, etc.
• classe IIa : les tubes de trachéotomie, les aiguilles de seringue, les pansements hémostatiques, etc.
• classe IIb : les machines de dialyse, les couveuses pour nouveau-nés, les implants dentaires, etc.
• classe III : les pompes cardiaques, les prothèses articulaires de hanche, etc.
Le promoteur de l'essai bien protégé en France
Parce qu’ils sont amenés à réaliser des essais cliniques, les entreprises pharmaceutiques (de médicaments ou de dispositifs) ainsi que les fabricants de produits cosmétiques ou de compléments alimentaires, entre autres, entrent dans le cadre rigoureux des recherches impliquant l’être humain.
Appelée «promoteur de l’essai», la personne morale responsable d’un essai clinique (industriel, Inserm, etc.) est contrainte de s’assurer en responsabilité civile, notamment à l’égard des personnes participant à la recherche (3). Cette obligation est assortie de montants minimaux de couverture pour l’essai clinique assuré : 1 million d’euros par victime, 6 millions par protocole de recherche et 10 millions pour l’ensemble des réclamations sur une année d’assurance. C’est également au promoteur qu’incombe la charge de la preuve qu’il n’est pas à l’origine du dommage subi par le participant — ce qui rend cette assurance, exception française, particulièrement protectrice.
Daniel Azarian (Ai. 199)
Trois critères européens pour les fabricants
Assuré en responsabilité civile produits, tout fabricant de dispositifs médicaux doit définir lui-même quelle couverture financière sera adéquate pour ses produits. L’Europe conseille de se baser sur trois critères.
1
La classe du dispositif (lire l’encadré ci-dessus).
2
La criticité du dispositif : par exemple, bien qu’appartenant toutes deux à la classe III, une pompe cardiaque défectueuse présente un risque pour le patient, un coût de retrait et une indemnisation plus élevés qu’une prothèse de hanche.
3
La taille de l’entreprise :
un plaignant en quête d’indemnisation ira chercher un «payeur solvable». C’est-à-dire qu’il mettra plus volontiers en cause le médecin si le fabricant du dispositif est une petite entreprise; à l’inverse, il attaquera plutôt le fabricant s’il s’agit d’une multinationale(1).
(1) Stratégie du «deep pocket», expression argotique américaine pour «poches pleines» : on cherche de préférence l’argent là où il est.
(1) Tout établissement, service ou organisme dans lequel sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins.
(2) Lire aussi AMMag de novembre 2021, p. 28.
(3) Pour les recherches interventionnelles uniquement.